Publié le 31/05/24
par Collaborateur Oxiam

Le pont qui se transforme en fonction de l'eau

Ce pont relie une île dédiée à la défense de la ville de Op den Zoon, place forte longtemps réputée imprenable et partie intégrante de la Brabantse Waterlinie que nous avons évoqué lors de notre article sur le Loopgrafbrug, le fameux « pont de Moïse ».

Les architectes de RO&AD proposent à nouveau leur vision bien particulière de ce que peut être un pont et de la façon dont il doit s’intégrer à l’histoire du site et au lieu qu’il dessert.

Une vision qui, comme le « pont de Moïse » peut à nouveau sembler très biblique pour cet accès à une demi-lune bastionnée via la passerelle qu’ils ont réalisé en 2014 dans le cadre de la restauration globale du site, ce, trois ans après leur « pont tranchée ».

Il s’agit à nouveau de brouiller un peu plus l’image que nous avons d’un pont ou d’une passerelle permettant de relier deux berges opposées afin de pouvoir franchir à sec une pièce d’eau, car les architectes nous invitent cette fois-ci à pouvoir marcher directement sur l’eau !

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Croquis du projet par les architectes - Source : images.adsttc
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La passerelle construite - Source : images.adsttc

L'ingénieur militaire néerlandais Menno van Coehoorn (illustre ingénieur militaire néerlandais d'origine suédoise surnommé, de son vivant, le « Vauban hollandais ») a construit au XVIIIe siècle le Ravelijn op den Zoom comme partie intégrante des formidables fortifications qu’il a conçu pour la ville de Bergen op Zoom, aux Pays-Bas, considérées comme son chef d’œuvre.

Cette demi-lune historique, rare témoin de cette enceinte est aujourd’hui classée et sa rénovation a été complétée en 2018.

Conçue comme une île entourée de douves (de nos jours, réduites à un lac d’agréement, le « Pielekeswater ») en guise de système de défense rapproché, le Ravelijn op den Zoom n'était accessible que par bateau ou par pont levis « coté ville ». Ce premier détail a fait cogiter les architectes pour trouver une solution permettant de garder une continuité dans la logique des usages existants dés la conception de l’ouvrage.

La solution adoptée se trouve être dans la droite ligne des pontons, ou ponts de navires, qui permettent de franchir une brèche humide. On retrouve bien le même esprit des architectes qui ont inventé le pont-tranchée.

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L’inspiration : Franchissement de brèche humide par ponton mobile - Source : blogspot.com

Avec ses douves toujours en place, il n’a longtemps été accessible que via un pont levis, de fait, la municipalité a sollicité RO&AD Architecten afin de fournir un accès supplémentaire à la petite île en vue de mieux accueillir le public et également afin de fournir un accès / sortie supplémentaire en cas d'urgence.

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L’accès principal au ravelin, le pont levis a malheureusement été remplacé par une passerelle classique – Source : httpsassets.citynavigator

Pour faciliter l'accès à la ville sans nuire à l'aspect et à l'agencement historique, l'équipe d'architectes a donc conçu un pont flottant reposant de fait intégralement sur l'eau tout en étant amarré aux rives, ce dernier a donc pour avantage d’être complétement mobile.

Aujourd'hui, le ravelin est utilisé pour accueillir de petits événements et des congrès, sur réservation. Faisant partie du patrimoine historique de la ville, le ravelin est visitable et certaines de ses salles ont été aménagées en musée vivant (ce qui signifie qu’il n’y a pas d’exposition permanente, hors le site lui-même).

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Coupes architecte – Source : www.datocms-assets.com

Le pont mesure 80 mètres de long et reprend le cheminement qu’empruntaient les bateaux pour se rendre au Ravelijn op den Zoom. Il suit une forme de courbe qui a une fonction tant esthétique que structurelle, les segments de la passerelle ont eux-mêmes une forme cintrée permettant ainsi de cacher les flotteurs (des tubes en polyéthylène scellés) sur lesquels repose le pont et lui permet sa flottaison en faisant un pont unique en son genre.

Détails techniques du bois stabilisé mis en œuvre

Conçue une nouvelle fois en bois développé par l’industriel Accoya (comme le « Pont Moïse , la tour d’observation de Roovere et bon nombre d’autres projets de l’agence RO&AD), la surface du pont présente un aspect naturel qui se patine avec le temps pour gagner un aspect de bois flotté. Cet ensemble complète avantageusement la rugueuse nature historique de la forteresse.

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La passerelle à réception – Source : images.adsttc.com

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La passerelle à réception – Source  : images.adsttc.com

Le bois Accoya subit un processus d’acétylation appliqué au bois dur qui lui sert de matière première (bois d’Angelim vermelho). Ce processus à base de produits naturels modifie l'équilibre des composés naturels du bois en le rendant quasiment imputrescible, empêchant ainsi la décomposition fongique et augmentant sa durabilité tout en augmentant sa stabilité dimensionnelle.

l’Accoya est 80 % plus résistant au retrait et au gonflement que son essence d’origine suite au processus de saturation. De fait, la teneur en humidité du bois acétylé n’excède pas 5 %.

Moins sujet aux craquelures, il nécessite également moins d’entretien et le renouvellement des couches de finition s’effectue sur un rythme plus espacé. Mieux encore, sa longévité minimale est évaluée à 50 ans hors sol.

Autant d’atouts qui prédisposent particulièrement ce type de bois traité à une utilisation en extérieur, là où ses performances et son apparence seront en adéquation.

Le bois acétylé est non toxique, entièrement recyclable et ne contient que des composés du bois d'origine naturelle, c’est d’ailleurs ce qui a attiré l’agence RO&AD et explique la large collaboration avec l’industriel.

Le matériau provenant de forêts certifiées FSC, il est certifié C2C (Cradle to Cradle) Gold et des tests indépendants ont montré qu'il était négatif en termes d'émissions de carbone.

Les lames du plancher du pont et des escaliers d’accès au ravelin ont été cintrées ; (cintrage vapeur) tant pour répondre à la courbe du tracé de la passerelle que pour cacher les flotteurs en PU.

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Détail du ceintrage de la passerelle et des marches - Source : www.datocms-assets.com

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Le système de flottaison reste invisible -  Source : assets.citynavigator

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Principe de cintrage de la passerelle, document technique RO&AD

Des flotteurs sur catalogue

La passerelle en bois est fixée sur un ensemble de tubes en polyéthylène de deux diamètres qui sont des produits industriels disponibles sur catalogue, nul besoin de processus industriel ou de produit exotique pour cet ensemble de tubes en PE qui constitue la matière plastique la plus commune y compris dans le domaine de la construction. Nous avons ici des produits de « plomberie lourde » (type VRD eau potable ou grise notamment) scellés et détournés de leur usage premier créant un ensemble aisément remplaçable et facile d’entretien.

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Coupe de la passerelle – Source : images.adsttc.com

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La passerelle cintrée sur ses flotteurs, document technique RO&AD
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Exemple de conduite en PU grand diamètre, ici pour la retenue d'eau de pluie

Leur assemblage permet une flottabilité totale et évite un effet de tangage lors de l’utilisation de la passerelle. La passerelle se comportant comme un ponton, il est possible de la déplacer aisément.

A noter que pendant les travaux, le pont flottant a été mis de côté et amarré à une rive du lac "Pielekeswater".

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Ponton amarré lors de la campagne de restauration du ravelin - Source : cdn.nieuws.nl

Mais au fait, qu’est-ce qu’un ravelijn ?

Pour faire simple, un ravelin (ravelijn en néerlandais) est un des ouvrages extérieurs d'une forteresse, plus connu en France sous le nom de demi-lune ou de boulevard. C’est une fortification bastionnée, ouvrage extérieur en forme de « V » destiné à couvrir la courtine et les bastions. Le ravelin est généralement placé entre la tenaille et le glacis et peut être renforcé par l'adjonction d'un réduit (ce qui n’est pas le cas à Op den Zoom).

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Maquette restituant la ville au XVIIIe siècle avec, à gauche, le ravelin entouré de sa douve – Source : www.gratisaustralis.com

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Les fortifications de la ville avec le ravelin en haut à droite – Source : www.datocms-assets.com

Un peu d’histoire, donc

Suite au siège de Op den Zoom par les armées espagnoles en 1622, les fortifications ont été considérablement modernisées par le bâtisseur de forteresses Menno van Coehoorn entre 1698 et 1713. L'ingénieux système de murailles, de bastions, de ravelin et de glacis qu’il a conçu à Bergen op Zoom peut sans aucun doute être considéré comme le couronnement de la carrière de ce célèbre bâtisseur de forteresses. En tant que ville frontière entre la République (Les Provinces Unies) et les Pays-Bas espagnols (puis autrichiens), Bergen op Zoom se devait d'être bien défendue. Ce n'est qu'en 1747 que cette défense a finalement échoué et que "la ville vierge" (surnom de la ville, car jamais prise) est devenue la proie des troupes françaises qui la dévastent et la pillent après un siège victorieux de trois mois (14 juillet au 16 septembre 1747) durant l’un des derniers épisodes de la guerre de Succession d'Autriche (Pour la petite histoire, le siège de Berg op Zoom de 1747 est raconté dans le roman de la série à succès Assassin's Creed: Forsaken.)

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Vue de Berg-op-Zoom assiégée par les Français en 1747 - Source : wikimedia.org

La précédente restauration d'envergure a eu lieu il y a 91 ans, en 1932, depuis l’ouvrage défensif tombait lentement en ruine et à l’abandon faute d’intérêt… Jusqu’à ce que les Pays-Bas prennent conscience de la qualité et de l’intérêt de leur patrimoine défensif, patrimoine complétement intriqué à l’histoire du pays et désormais intégré aux différentes échelles de conservations du patrimoine architectural, historique et naturel (le GR5 passe d’ailleurs par là et se dirige vers Nice, en France)

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La précédente restauration achevée en 1932 – Source : media.indebuurt.nl

La dernière restauration en date, réalisée selon les règles de l’art, s’est quant à elle achevée en 2018, son objectif était de rétablir autant que possible l’aspect d'origine du ravelin du XVIIIe siècle. Ainsi, les murs extérieurs ont été entièrement restaurés. La maçonnerie qui avait été gravement affectée par les racines des arbres a été remplacée et rejointée. La porte d'entrée et les portes des casemates ont également été remises à neuf.

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Campagne de restauration – Source : cdn.nieuws.nl

Aujourd'hui, le Ravelijn Op den Zoom restauré nous rappelle cette époque mouvementée pour l’Europe et les Pays-Bas. Il se dressait comme un poste avancé dans le fossé extérieur des fortifications de la ville dont il reste un des rares témoins de l’époque, il fait désormais partie du maillage d’espaces verts d’Op dem Zoom.

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Les reliques des fortifications de Bergen op Zoom en 2017

Le site ainsi aménagé et visitable, il conserve un impressionnant système de casemates souterraines à l'épreuve des bombes, sa visite permet en outre de traverser le site sur son pont flottant, si particulier, en marchant sur le "Pielekeswater" jusqu'à la porte d'entrée d'origine restaurée.

Le pont fait aujourd’hui face à de nouveaux assauts, bien plus pacifiques car provenant des palmipèdes qui donnent leur nom au lac, en effet, la municipalité doit désormais nettoyer quotidiennement les déjections des canards, cygnes et oies qui se sont rapidement approprié le pont flottant.

Article rédigé par un Collaborateur Oxiam